Par un jugement du 13 novembre 2024, le Juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Paris, siégeant en formation collégiale, a rendu une décision particulièrement importante dans le contentieux des clauses abusives en matière de crédit à la consommation.
???? L’affaire trouve son origine dans un contrat de crédit souscrit en 1998 par une consommatrice auprès de la société Finedis, ayant donné lieu à une déchéance du terme en mars 2003 et à une ordonnance d’injonction de payer en novembre 2003. Cette créance a été cédée en 2017 à la société EOS France.
???? En 2019 et 2020, EOS France a pratiqué deux mesures d’exécution forcée : un commandement aux fins de saisie-vente et un procès-verbal d’indisponibilité du certificat d’immatriculation du véhicule de la débitrice.
???? La débitrice, représentée par Maître Paul-Emile BOUTMY, a contesté la régularité de ces mesures, en invoquant le caractère abusif de la clause de déchéance du terme figurant dans le contrat, et demandait leur annulation.
Face à une question de droit complexe, la formation collégiale du JEX de Paris a pris une décision inédite le 11 janvier 2024 : saisir la Cour de cassation pour avis, en application des articles L. 441-1 du COJ et 1031-1 CPC, sur la possibilité pour le JEX de :
Réputer non écrite une clause abusive figurant dans un contrat ayant fondé un titre exécutoire ;
En tirer les conséquences sur la mesure d’exécution forcée en cours.
???? Le 11 juillet 2024, la Cour de cassation (Avis, 2e Civ., n° 24-70.001, publié) a répondu positivement :
Le JEX peut constater dans le dispositif de sa décision le caractère réputé non écrit d’une clause abusive ;
Il ne peut pas modifier ou annuler le titre exécutoire, mais il doit réévaluer la créance et vérifier si la mesure d’exécution est fondée sur une créance encore exigible ;
Si la créance ne l’est pas, il doit annuler la mesure.
???? L’argumentation de la société EOS France :
La clause litigieuse était conforme au modèle-type réglementaire n° 4 annexé au code de la consommation.
La jurisprudence sur la mise en demeure préalable n’a vocation à s’appliquer qu’aux contrats postérieurs à 2015.
Le titre exécutoire demeure valable, et les échéances devenues exigibles postérieurement doivent être recouvrables.
Un décompte était produit, tenant compte des paiements et de la prescription biennale des intérêts.
???? L’argumentation de Maître BOUTMY (au nom de la débitrice) :
Le JEX a l’obligation d’examiner le caractère abusif des clauses du contrat, même en présence d’un titre définitif.
La clause permettait une exigibilité immédiate sans mise en demeure ni préavis, ce qui contrevient aux exigences de la CJUE et de la Cour de cassation (1re Civ., 22 mars 2023, n° 21-16.044 et 21-16.476).
Cette clause devait donc être réputée non écrite.
Le titre exécutoire étant fondé sur cette clause, il était privé d’effet pour toute condamnation au capital restant dû, à l’indemnité de 8 % et aux intérêts échus.
La créance exigible était donc cantonnée aux seules échéances échues à la date de la déchéance du terme (soit 822,55 €), le reste ayant été intégralement soldé par des paiements effectués jusqu’en août 2014.
Le JEX suit intégralement le raisonnement de Me BOUTMY et :
Déclare abusive la clause de déchéance du terme et la répute non écrite ;
Annule le commandement de payer du 17 janvier 2019 et le procès-verbal d’indisponibilité du 12 octobre 2020, en considérant que le titre exécutoire n'était plus apte à fonder des mesures d’exécution forcée ;
Condamne la société EOS France aux dépens et à payer 2.500 € à la débitrice sur le fondement de l’article 700 du CPC.
Cette décision illustre concrètement la portée de l’avis rendu par la Cour de cassation le 11 juillet 2024, en ce qu’il impose au JEX de contrôler d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle même lorsqu’un titre exécutoire a été précédemment rendu. Il montre l’importance du principe d’effectivité du droit de l’Union européenne dans la protection du consommateur.
La formation collégiale du JEX de Paris affirme ici, dans la lignée des jurisprudences européennes et de la Cour de cassation, que la clause abusive est réputée n’avoir jamais existé, et que le juge de l’exécution doit tirer toutes les conséquences de cette nullité, même à l’encontre d’un titre revêtu de l’autorité de la chose jugée.